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Eloge de l'Art par Alain Truong
31 mai 2009

Paire de chenets aux chevaux cabrés. Paris, vers 1720 – Époque Régence

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Paire de chenets aux chevaux cabrés. Paris, vers 1720 – Époque Régence

Bronze doré. Chaque chenet présente les armes des Stroganoff surmontées de la couronne de comte. Hauteur 41 cm- 16 in. Largeur 25 CM - 9¾ in. Profondeur 16 CM - 6¼ in

Provenance :
- Très certainement collection du baron Sergueï Grigorievitch Stroganoff (1707-1756)
- Collection de son fils unique, le comte Alexandre Sergueïevitch Stroganoff (1733-1811).
- Probablement vendus par les soviets dans les années 1920 ?

Note: Cette paire de chenets présente un vocabulaire décoratif tout à fait typique de l’esthétique en vigueur durant l’époque de la Régence, mêlant allègrement les motifs du style précédent avec ceux du rocaille naissant. Ainsi, les bases, par leur structure en forme de tombeau, sont encore très proches des modèles Louis XIV. Il en est de même des masques de Zéphyr, placée de façon encore frontale au centre de celles-ci. En revanche, les grasses volutes et contre volutes disposées aux angles annoncent déjà le style Louis XV. Notons également la présence de coquille auxquelles on a imposé une forme mouvementée.

Une paire similaire comprend, sur le blason tenu par le cheval, les armes de Bavière (Ottomeyer, H. et Pröschel, P., Vergoldete Bronzen, Munich, 1987, p. 72, fig. 1.10.12). Cette dernière figure sur l’inventaire du château de Nymphenburg de 1769 où elle est décrite comme étant en ces lieux depuis longtemps. Le modèle diffère de celui étudié par l’ornementation des angles de la base, d’esprit plus archaïsant, encore très Louis XIV. Ainsi, les pieds se terminent en pattes de lion reposant sur une boule. De plus il ne possède pas de mascaron central à tête de Zéphyr, bien que ce personnage réapparaît sur le haut des ornements d’angle du piétement. Signalons que le culot d’amortissement de la base des chenets présentés n’est pas présent sur ceux de Nymphenburg qui de ce fait présentent un aspect moins riche. Enfin, notons que le cheval n’est pas doré comme ici, mais patiné, à l’exclusion de son tapis de selle. Une autre paire reprenant le même cheval cabré patiné et tapis de selle doré figure à Waddesdon Manor, provenant de l’ancienne collection James de Rothschild (Bellaigue (de), G., The James A. de Rothschild Collection, Londres, 1974, p. 720, n°181, reprod.). La base est toutefois d’un modèle plus archaïsant encore, puisqu’elle appartient tout entière à l’esthétique Louis XIV. On connaît en revanche une autre paire totalement identique à celle étudiée, mais dont le blason n’est pas timbré d’armoiries (Catalogue Didier Aaron, n°IX, Paris, 2006, n°29, reprod.).

Ce modèle de chenet à cheval cabré semble avoir eut un grand succès au XVIIIème siècle parmi les amateurs éclairés. Le grand bronzier Jacques Caffiéri semble avoir joué un rôle important dans leur conception comme le laisse entendre son inventaire après décès, ainsi que celui de son épouse Rose, respectivement en date du 1er décembre 1750 et du 3 décembre 1770, qui mentionne ce modèle. Sous le n° 160 de la vente après décès de la veuve Caffièri on rencontre encore « un modèle de feu à terrasse avec un cheval ». On mentionnera également une paire de chenets à cheval cabré dans la vente du grand collectionneur Gaignat (14-22 février 1769, n°194) On note ainsi « Un feu de cheminée grand et fort, à ornemens représentant des chevaux, sur un riche pied en bronze doré ». L’un d’eux fut reproduit par le peintre Gabriel de Saint-Aubin qui se plaisait à croquer les objets d’art les plus marquants lorsque ceux-ci passaient sous le feu des enchères (Dacier, E., Catalogues de ventes et livrets de Salons illustrés par Gabriel de Saint-Aubin, Paris, 1909-1921, volume XI). Une autre paire figura sous le numéro 112 de la vente de la collection Bonnemet qui se tint à Paris du 4 au 14 décembre 1772.

Plusieurs paires identiques à celle étudiée nous sont connues au XXème siècle. La première appartenant alors à la collection Chappey, figura à l’Exposition rétrospective de l’art français des origines à 1800 qui se tint au Petit Palais à Paris à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900 (Molinier, E. et Marcou, F., Exposition rétrospective de l’art français des origines à 1800, Paris, 1900, reprod.). C’est peut être cette paire qui figura dans la collection Philippe Kraemer (« Objets rares à Paris » in connaissance des Arts, n°232, juin 1971, p.96, reprod.). Enfin mentionnons une autre paire qui figura dans la collection Jacqueline Delubac (Hôtel Drouot, 16 mars 1998, n°37, reprod.).

On doit mentionner un autre modèle de chenets, très proche, et qui s’inspire, comme la paire étudiée de l’art héraldique. On connaît en effet le même principe de tombeau orné et d’animal servant de portant à un blason mais avec un lion. L’une de ces paires figure à Waddesdon Manor (Bellaigue (de), G., 1974, p. 722, n°182, reprod.). Elle présente les armes d’une famille lyonnaise : les Bruyères de Chalabre. Une autre est entre mains privées dans le château de Lochnich en Grande-Bretagne. Une autre enfin appartient aux musées de Bavière et figurait autrefois dans les appartements de l’Empereur au château de Nymphenburg (Ottomeyer, H. et Pröschel, P., 1987, p. 72, fig. 1.10.13). Un tel modèle de chenet figure dès 1719 dans l’inventaire du château, confirmant la datation précoce de ces objets. Aux lions ou aux chevaux cabrés il semble bien que ces objets sortent du même atelier. On remarquera en effet le cartouche tenu par les chevaux de la paire étudiée repris sur la base de la paire au lion de Nymphenburg. De plus, les deux possèdent les mêmes ornements aux pieds et aux angles.

On notera que les armes qui figurent sur les chenets étudiés sont surmontées d’une couronne comtale. Si les Stroganoff sont faits barons en 1722, ce n’est qu’entre 1756 et 1771 qu’Alexandre Stroganoff devient comte. Son père le baron Sergueï, à la tête d’une fortune incalculable, était un très grand collectionneur plus attaché à enrichir sa vie quotidienne de beauté et de goût qu’à réellement suivre les modes (voir « Les Stroganoff, une dynastie de mécènes », Paris, musée Carnavalet, mars-juin 2002, p. 49). Il est possible qu’il se soit porté acquéreur de la paire de chenets étudiés et que son fils y fasse placer les armes comtales ayant hérité de son père et une fois accédé à ce rang. Alexandre peut aussi avoir acheté directement pour son propre compte ces chenets d’exceptionnelle qualité, mais déjà anciens, lors de son séjour de huit années à Paris entre 1771 et 1778.

Les Stroganoff: « Plus riche que les Stroganoff, vous ne le serez jamais » indique un vieux dicton russe. L’histoire de la dynastie des Stroganoff est intimement liée à celle des souverains russes, d’Ivan IV le Terrible jusqu’à Staline. Ils ont toujours offert leur soutien financier à leur pays, les Tsars les anoblissant en retour et leur accordant des concessions territoriales gigantesques. Ils furent même à l’origine d’expéditions lancées vers la Sibérie qui allait bientôt être annexée par la Russie. En souvenir de cette épopée, la zibeline, petit mammifère originaire de cette région, figura sur leur blason. Leur extraordinaire palais situé sur la perspective Nevsky à Saint-Pétersbourg était réputé pour la somptuosité de son mobilier.

Didier Aaron & Cie.  Email : contact@didieraaron-cie.com - Site : http://www.didieraaron-cie.com

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