Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Eloge de l'Art par Alain Truong
25 janvier 2011

Rares éléments d'une Chinoiserie « pour meuble » en indiennes appliquées, XVIIIème siècle

0_

Rares éléments d'une Chinoiserie « pour meuble » en indiennes appliquées, XVIIIème siècle. Courtesy Thierry De Maigret

Estimation : 1 500 - 2 500 €

Technique et support : Toile de lin aux motifs préalablement tracés au poncif sur laquelle sont appliqués des fragments de toiles peintes ou imprimées dites Indiennes ou Chintz (fond rouge ou bleu en réserve à l'indigo, fleurs exotiques, oeillets et botehs stylisés...) ainsi que d'autres impressions à la planche sur siamoise de facture occidentale. Motifs découpés à la forme et maintenus par des points de couture, les contours surlignés de soie floche ou de cordonnets vrillés de couleurs vives, eux-même maintenus par de petits points en couchure. Visages et mains en soie unie, les carnations légèrement pinceautée de rose et les traits rebrodés au lancé, de même que de nombreux détails du décor. Dans la partie inférieure, une fleur très finement brodée au point de chaînette en soie (peut-être découpée d'un fichu pour dame, similaire au lot n° 288) a été rapportée dans la composition.

Description : Scène lacustre d'une « grue » près d'une barque à la proue sculptée en tête de dragon avec chinoise à l'ombrelle et rameur au chapeau conique. A terre, un jeune chinois à longue natte court avec un bâton rubané, sur une pièce formant bandeau ou lambrequin de 52 x 210 cm. Sur la tenture principale : 230 x 240 cm, deux singes espiègles à moitié vêtus et perchés sur un arbre de fantaisie jouent avec un Phénix au-dessus d'un palanquin dans lequel s'évente une noble dame portée par deux chinois chapeautés aux chaussures à bout retourné. Sur la partie droite, dans une pagode au faîte surmonté d'une bannière, 2 chinois armés de canne et filet pêchent des carpes dans une mare où s'ébat un canard. Descendant de marches (ou pont ?) à la perspective maladroite, une dame chinoise tient un éventail géant en plumes de paon. Alentour, se déploie un bestiaire (papillons et carpes géants, oiseaux, canards) et une végétation fantaisistes . Chaque scène est placée sur un petit îlot ou tertre, l'ensemble encadré d'une bordure à petits motifs fleuris.

Etat de conservation : Bon malgré quelques lacunes de fils dans les parties brodées. Des restaurations anciennes pour remplacer les toiles indiennes usées et trop rongées par les mordants ainsi que des cordonnets ré-appliqués. Dimensions de la tenture probablement modifiées à une date inconnue. Sources iconographiques et rapprochements Ce pittoresque et rare document synthétise le goût particulier des européens de l'époque pour tout ce qui dans la chinoiserie, évoque le plaisir et la fantaisie. Les motifs, appliqués sans souci de symétrie évoquent les lacca povera inspirées du Treatise of Japanning and Varnishing de Stalker et Parker en 1688. On y retrouve le bestiaire habituel de la Chine et de l'Inde, les dimensions fantaisistes des fleurs et des personnages dont les poses trahissent le nouveau goût pour l'asymétrie caractéristique du rococo mais la facture maladroite des oiseaux, canards et du pavillon au toit en pente incurvée laisse supposer une date antérieure aux chinoiseries délicates de la deuxième moitié du siècle. Le nombre et la variété des tissus utilisés (plus de 45 modèles, de la grosse fleur de palampore au petit semis « bon marché ») alimentent l'hypothèse d'une réalisation dans un atelier spécialisé ayant à sa disposition un très grand nombre d'indiennes. Irwinn a par ailleurs démontré que les dessins d'origine européenne étaient envoyés en Inde pour servir d'inspiration à l'énorme production de meubles exportée en occident mais qu'ils devenaient eux même hybrides par l'inclusion d'éléments décoratifs propres au répertoire Indo-Perse. La curiosité pour le supposé mode de vie des "chinois" ressort ici dans la représentation de la « barque au dragon », également reprise dans L'embarquement de l'impératrice (première suite Chinoise, Beauvais) et qui avait déjà fasciné Nieuhof. Cet intérêt est aussi illustrée par des thèmes propres à la Chinoiserie, comme celui de la partie de pêche (Boucher, Pillement) auquel s'ajoute ici une émanation précoce du thème de la Singerie. En 1665, Nieuhoff proposait une représentation d'un singe parmi les curiosités rencontrées en Chine et Jean Bérain I en grave dès 1693, anticipant les singeries d'Audran, Watteau et surtout J.B Huet à Chantilly. En Angleterre, The Fairy Queen, l'opéra de Purcell crée en 1692 montre des singes émergeant d'une forêt pour exécuter une danse, mais aucun n'est encore habillé comme un humain. Ceux de notre tenture se situent entre les deux représentations, mi-sauvages, mi-déguisés. Dans son chapitre sur la Chinoiserie baroque, Honour mentionne un conte allégorique publié en 1698, récit fantaisiste de la construction "éclair" en 1671 du Trianon de Porcelaine par Louis XIV pour sa favorite Madame de Montespan. Ce "Conte moins conte que les autres : Sans Parangon et la reine des fées" illustre la vision qu'avait la cour de France de la Chine et de cette construction en particulier, aux toits couverts de faïence bleu et blanc inspirés de la pagode de Nankin. Lors d'une promenade en barque sur le canal de son parc, Le prince Sans Parangon (Louis XIV) demande son avis sur son domaine à "Belle Gloire" (Mme de Montespan),"la plus fière princesse (chinoise) de la terre". Celle-ci lui fait remarquer que les richesses sont tellement communes dans le pays de son père, l'empereur, qu'elle même a toujours préféré les maisons simples aux palais somptueux. Ayant rejoint la fin du canal, Sans Parangon, anxieux de satisfaire sa princesse, saute à terre et la frappe trois fois avec sa baguette magique. Immédiatement, apparaît un château de porcelaine entouré de parterres fleuris et de fontaines... Serait-ce là la signification du "chinois à la baguette devant la barque de la princesse" de notre tenture ? Les tissus pour meuble en broderie appliquée, quoique mentionnés (selon un inventaire de 1761, les murs d'un « cabinet chinois pour le café » du château de Falkenlust en Allemagne étaient couverts de chinoiseries en Indienne appliquée) étaient bien moins fréquents que ceux en indiennes peinte et imprimée. Les courtepointes, ciel de lit ou tentures qui existent et utilisent cette technique ne montrent, pour la plupart, que des ornements européens (bouquets, parterres de fleurs...) découpés dans des toiles en indienne. Ce document très décoratif, quoique de facture assez simple, s'inscrit donc, toute proportion gardée, dans une fabrication peu étudiée de « meubles» à chinoiseries d'indiennes appliquées dont le plus fameux représentant à ce jour est celui commandé en Inde vers 1725-1730 par le Prince Eugène de Savoie pour son Palais de Shloss Hof.

Bibliographie : An Indian Chinoiserie from an Austrian Palace: The Textile furnishing for Prince Eugene's state Bedroom in Schloss Hof ;

Angela Vôlker, 2007. Irwinn, Schwartz, Studies in Indo-European Textile history, 1966 ;

Hugh Honour, Chinoiserie : The vision of Cathay 1961.

Thierry De Maigret. Vendredi 04 février à 13h30. Séverine Experton-Dard, expert. Drouot Richelieu, salle 10. EMail : contact@thierrydemaigret.com - Tél. : 01 44 83 95 20

Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Eloge de l'Art par Alain Truong
Publicité