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Eloge de l'Art par Alain Truong
25 janvier 2011

Très rare panneau d'une Chinoiserie en entretaillure et broderie sur satin fin XVIIème siècle.

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Très rare panneau d'une Chinoiserie en entretaillure et broderie sur satin, fin XVIIème siècle. Courtesy Thierry De Maigret

Estimation : 1 000 - 2 000 €

"A l'époque de Louis XIV, il y avait dans toutes les maisons royales des meubles de satin blanc brodés de figures et d'animaux chinois... » H. Havard, Dictionnaire de l'Ameublement et de la décoration.

L'entretaillure est le nom que l'on donnait au XVème et XVIème siècles aux ouvrages en broderie d'application de tissus d'or, d'argent ou de soies vives. Plus rapides à confectionner que la tapisserie, ils pouvaient servir de tentures entières de chambre. Peu d'exemples ont survécu et il semble difficile d'imaginer la magnificence de ces ouvrages. Louis XIV lui même en conserva trois panneaux dans son antichambre à Versailles jusqu'en 1700, date à laquelle le rétablissement des lois somptuaires pour "le retranchement du luxe des meubles", défendit l'usage des étoffes d'or et d'argent dans le mobilier, et l'emploi de ces tissus dans les travaux d'application à l'exception de ceux qui avaient préalablement servi à l'habillement. Au siècle suivant, le terme d'application, "petits ouvrages assujettissant par une broderie fine et soignée, des fleurs ou des rinceaux de taffetas ou de toile découpés sur un fond de toile ordinaire..." succède à celui d'entretaillure. Sans commune mesure avec les ouvrages de l'époque des Valois, les plus beaux travaux de ce genre appartenant au XVIIIème siècle sont mentionnés comme faisant partie du mobilier de la Couronne et notamment : "un lit à impériale à la duchesse, de satin blanc, doublé de même satin, remply en dedans et en dehors de fleurs, figures et animaux de la Chine de diverses couleurs, rapportées sur l'étoffe"... Est-il interdit d'imaginer que notre pièce serait de même nature qu'un tel meuble ? Technique et support : Etoffes de soie façonnées ou unies (brocart argent, velours cramoisi...), découpées, appliquées et maintenues en différents points de broderie en couchure et serties de cordonnet ou soie floche. Fond en satin de 5, vert d'eau jaspé sur un support en toile de chanvre type bougran. Certains motifs, comme les figures des personnages ou l'oiseau sont brodés au point d'Orient ou au passé empiétant et en couchure de soie et filé or.

Description : Panneau de 58 x 128 cm, constitué de 3 pièces de satin raboutées en hauteur, tissé en 55 cm de large (lisière de 6 mm comprise). Traces de clous visibles sur tout le pourtour. Lisière en satin rose saumon rayé de 2 filets crème avec fines cordelines gainées de soie verte. Scène se développant sur deux registres avec comme motif central un mandarin (l'empereur) trônant sous un dais semblable à un palmier, flanqué de deux guerriers noirs armés de lance. Au-dessus de lui, volent libellules, papillons et un oiseau exotique. Sur la droite, un vase à piédouche d'où part une tige géante supportant fleurs imaginaires et tulipes panachées en taffetas rebrodé. En dessous, une femme richement vêtue porte une fleur, avec de part et d'autre un perroquet branché et une caisse à oranger d'où s'élève un arbre à 7 fruits dont l'un est cueilli par une servante, coupée à hauteur du buste. Sur un tertre dans la partie inférieure du lé, on devine les pattes brodées en soie brune d'un animal à corne (buffle ou chèvre sauvage) dont le corps lacunaire est dissimulé par une réparation ancienne avec un façonné du XVIIIème siècle.

Etat de conservation : bon, compte tenu de l'ancienneté. Fond satin très légèrement insolé, deux "patchs" de "restauration" en lampas lancé d'époque Louis XV recouvrent les lacunes de la broderie en fils noirs, probablement rongés par les mordants de la teinture utilisée.

Sources iconographiques et rapprochements : Sans avoir pu identifier la gravure dont ce serait inspiré notre brodeur, il est indéniable que celui ci a dû avoir entre les mains les relations de voyages lointains de l'époque et particulièrement les estampes illustrant l'ambassade au grand Kan de Nieuhoff ou les oeuvres postérieures qui s'en inspirèrent. Ainsi la Tentures des Indes tissée aux Gobelins vers 1690 qui dépeint un roi "Indien" sous un parasol chinois, entouré d'indiens en pagne à plume dans une faune abondante et étrange nous renvoie aux multiples représentations de "Magot sur un coussin lambrequiné tripode" ou encore à un panneau en faïence polychrome de Delft du début du XVIIIème siècle au Rikjsmuseum. Celui-ci représente, au beau milieu de scènes de vie en Chine, deux nubiens armés de lance qui se révèlent être des Indiens Tapuya du Brésil, découverts par Maurice de Nassau lors de son expédition dans ce pays. Leur présence se comprend mieux si l'on considère qu'à cette époque encore, le Noir correspond à la notion primitive de l'exotisme. Il était d'ailleurs de bon ton à partir de 1685 d'être servis par des négrillons, souvent représentés comme ici avec un collier de servitude. Autre rapprochement fructueux, celui fait avec la série des "Tenture de l'Empereur de Chine", tissée à Beauvais et plusieurs fois remise sur le métier jusqu'en 1731. Dans L'audience de l'Empereur celui ci est représenté coiffé d'un turban, sous un dais flanqué de gardes avec lance et boucliers. Le personnage féminin de ce panneau est plutôt vêtu à l'Orientale (Perse ou Turquie) comme dans les Astronomes ou Le Thé de l'Impératrice, laquelle reçoit l'offrande d'une corbeille de fruits que lui apporte une servante avec turban en cône et voile, décrite comme suit par Kircher en 1667 : "Elles portent sur le front un bandeau rouge tout greslé de perles et au sommet de la teste une couronne d'argent en forme de boite". Enfin, ces fruits semblables à des oranges ne seraient ils pas la représentation exagérée de la plante du cotonnier, visible également dans l'Empereur en voyage et qui avait marqué Nieuhof au point de les décrire ainsi : "le fruit du cotonnier est gros comme une pomme " ?...

Thierry De Maigret. Vendredi 04 février à 13h30. Séverine Experton-Dard, expert. Drouot Richelieu, salle 10. EMail : contact@thierrydemaigret.com - Tél. : 01 44 83 95 20

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